Quelle idée !... Quelle drôle d'idée... Quelle idée farfelue... Et pourquoi pas après tout... !
C'est une idée pertinente et exploitable... Je dirais que cela peut être constructif... parler à son Ange Gardien !
Voilà le conseil que vient de me donner l'une des invités conviée à une soirée du 14 juillet.
Étant sur le point d'engloutir ma énième brochette de crevettes, cette américaine à la soixantaine flamboyante, je veux dire à la cinquantaine (toujours se souvenir que la femme oublie la dernière décennie lorsqu'elle parle de son âge) m'aborde en me souriant de toutes ses soixante quatre dents... Oui aux U.S.A, les sourires sont tellement larges que la dentition compte double visuellement.
Nous entamons une conversation pationnément joyeuse et intéressante sur les choses de la vie. Puis, nos échanges deviennent plus spirituels.
Cette dame, cultivée et apparemment sensée me confie alors, qu'elle ne voit plus son psychologue depuis qu'elle parle à son Ange Gardien.
Elle puise les réponses à ses interrogations grâce à cette connexion. Plus de stress, plus de doutes, un apaisement total.
- "Essayez, essayez ! Communiquez avec votre Ange Gardien cela va changer votre vision de la vie" me dit-elle entre deux coupes de champagne et deux éclats de rire.
Je dois reconnaître qu'au début, j'ai pris cette bizarrerie à la légère puis la tentation s'est. imimscée. en moi au fur et à mesure que le feu d'artifice explosait devant mes yeux.
Et maintenant, me voici marchant dans l'obscurité en compagnie d'un prétenant pas charmant du tout qui préfère me raccompagner à pied et profiter de la fraîcheur de cette nuit d'été plutôlt que de dépenser quelques euros de taxi pour moi.
Il va de soi qu'il commandera un taxi pour rentrer chez lui après la tentative d'un baiser, voir plus si affinités.
Et bien non, pas d'affinités mais éventuellement la nausée en pensant à ce scénario.
Il pérore et apprécie son monologue. Oui, il est bien le seul.
Et moi, dans mes pensées. Comment m'y prendre ? Comment dois-je procéder pour entrer en contact avec vous mon Ange Gardien ?
On se "vous" ou on se "tu" ?
Et comment vous appelez-vous ?
Je crois avoir trouver la réponse à l'une de mes questions... on se vouvoie, cela me vient plus naturellement, on verra avec le temps.
Ces pensées loufoques me font subitement pouffer de rire ce qui offusque notre cher conquérant de l'amour à la bouche sèche et à l'haleine acide aux relents de champagne.
S'il te plaît, ne parle plus. Par respect pour toi, par égard pour mois.
Pas besoin d'arme nucléaire, s'il tousse en allumant une cigarette, Paris sera en cendres en trente secondes.
A l'approche de mon domicile, la tension de Mister haleine de chacal est palpable.
Son élocution devient progressivement plus lente.
Tentative et je dis bien "tentative" de voix plus grave ce qui relève de l'exploit lorsque l'on a une voix de crécelle.
Sa gestuelle faussement décontractée en s'arrêtant devant la porte de mon immeuble, son regard se voulant sensuel en plissant les paupières comme un myope sans correction, rend cette scène pathético-comique.
Cette situation m'excède !
Comment le congédier sans le blesser ?
Je ne lui avais rien demandé !
C'est lui qui a insisté pour me raccompagner ! Si j'avais dit non, j'aurais eu le rôle de la fille associale et pas "friendly" et en acceptant, il pense que c'est une invitation à la découverte de mes grains de beauté.
S'il vous plaît, aidez-moi.... un conseil... n'importe quoi.
Oh tiens, je commence déjà à vous parler !
Au fait, vous êtes un homme ou une femme ?
Non, stop aux questions ! Là, il y a urgence. Il faut réagir vite sinon les lèvres gercées saveur égoût vont se plaquer sur les miennes.
Faire simple !
- "Merci Philippe-Jean pour cette promenade nocturne, rentre bien !"
- "Comment Bérénice ! Pas de dernier verre pour ma galanterie ?"
Aïe ! Il n'aurait pas dû dire cela.
Oui, il faut le savoir Ange Gardien, j'ai une petite tendance à me laisser emporter lorsque la situation est injuste ou discourtoise. Et là, nous sommes incontestablement face à une attitude peu convenable.
- "Ai-j bien entendu Philippe-Jean ? Tu parles de galanterie ? Il me semble que j'ai été en effet trèèèès galante puisque je t'ai fait économiser une bonne partie de ta course pour rentrer chez toi en acceptant de me taper trois kilomètres à pied en talons hauts, Meeeeesieur ! Sur ce, bonne fin de soirée !"
Main farfouillant dans mon petit sac à main façon jeu télévisé Motus, je l'observe me fixant béatement.
Au moment précis où je passe la porte cochère, il me demande d'une petite voix : " Tu peux m'appeler un
taxi ? Je n'ai plus de batterie. "
Je lui réponds ou je feins de n'avoir pas entendu ?
Nous n'avons pas entendu !
Je claque la porte. Remarquez que je viens de dire "nous", il y a une connection, non ?
Soupir de soulagement ou de lassitude voir les deux, mon regard se perd en voyant se succéder rapidement les numéros des étages dans l'ascenseur.
Tout comme la vie, ils défilent à une allure vertigineuse.
Déjà 39 ans... enfin 40... bon OK 41 ! Ça va hein ! Qu'est-ce que cela change, on est plus à deux ou trois ans près, non ?!
Je me souviens de mes premières soirées de 14 juillet. Petite fille impatiente de voir la beauté du feu d'artifice qui faisait dilater d'émerveillement ses pupilles, excitée à l'idée de choisir sa plus belle tenue, d'appliquer un léger rouge à lèvres et de danser sur des rythmes effrénés.
Dans l'attente de ce grand soir, mon estomac faisait sa révolution, j'étais nouée.
Plutôt rare chez moi.
- "Cher Ange Gardien, sachez que rien ne me coupe l'appétit mais alors rien ! Si je suis angoissée ou impatiente je grignote. Si je suis triste : je dévore. Si je suis heureuse ou en colère : je m'empiffre."